top of page

L’Homo sapiens «cursor», une machine faite pour courir


TECHNIQUE DE COURSE

Décodage. L’engouement pour la course dite minimaliste renvoie aux origines de l’homme. Plusieurs études tendent à prouver qu’elle réduit le risque de blessures.

La course à pied, c’est bon pour votre santé, mais pas pour vos articulations: cet état de fait, plus d’un médecin l’a déjà proféré à un patient-coureur. Pour certains sportifs, l’adage «je cours, donc je souffre» semble même être une fatalité. Qui de se plaindre d’une douleur aux genoux, qui aux hanches ou dans le bas du dos… Mais depuis une dizaine d’années, une mode est venue mettre à mal cette croyance qui veut que courir soit synonyme de petits bobos en tout genre: le minimalisme. Cette pratique consiste à revenir vers les fondamentaux d’une foulée naturelle (voir infographie ci-dessous). Le minimalisme a connu un incroyable boom à partir de 2009 et la publication aux Etats-Unis de Born to Run, un best-seller traduit il y a quatre ans en français – sous le même titre – par les Editions Guérin. Ecrite comme un thriller par Christopher McDougall, cette enquête part d’une «question toute bête», comme la qualifie ce journaliste adepte de courses longue distance: «Pourquoi mon pied me fait-il mal?» A force de se retrouver face à des médecins lui disant que le sport agresse son corps, McDougall a décidé de partir à la rencontre des Indiens Tarahumaras qui, dans les montagnes du nord du Mexique, sont connus pour pouvoir courir des centaines de kilomètres sans entraînement particulier, tout en ne portant que des sandales ultrafines uniquement destinées à les protéger des anfractuosités des sentiers escarpés. Et de consulter aussi Daniel Lieberman. Ce professeur de biologie évolutionniste à Harvard intervient également dans le documentaire Sommes-nous faits pour courir?. Réalisé en 2012 par l’anthropologue Niobe Thompson, et disponible sur YouTube, ce film propose un bon condensé de la théorie qui traverse le livre de McDougall: et si l’homme était le plus grand coureur de fond que la Terre ait jamais porté? Plus que des «sapiens», nous serions des «cursor», ayant appris à courir bien avant de nous mettre à penser. De cueilleur à coureur Résumons l’affaire, de manière forcément schématique. Nos lointains ancêtres étaient de grands singes vivant dans la canopée pour échapper aux prédateurs, et possédaient alors un corps adapté à la grimpe et à la vie dans les arbres. La disparition progressive des forêts les a poussés à descendre sur la terre ferme, où ils ont été chassés presque jusqu’au dernier. Les survivants ont donc dû s’adapter à de nouvelles conditions de vie et, durant des centaines de générations, ont vu leur morphologie se transformer. Ainsi naquit un nouveau singe, bipède, qui est à l’origine de l’Homo sapiens. De cette évolution est née la caractéristique première de l’homme: si nous ne pouvons pas courir vite – la plupart des animaux sont bien plus rapides – nous sommes par contre endurants. Notre corps est une formidable machine faite pour courir non pas vite, mais longtemps. Notre voûte plantaire et notre mollet agissent comme des ressorts restituant de l’énergie lorsque notre pied frappe le sol; cette énergie gratuite est utilisée uniquement lorsque nous courons, pas quand nous marchons. De même, le grand fessier, notre plus grand muscle, n’est pas utile à la marche, mais travaille avec vigueur dès que nous accélérons le pas, afin de stabiliser notre buste. Dès lors, nos ancêtres récents, les chasseurs-cueilleurs, sont devenus de grands coureurs pratiquant notamment la chasse à l’épuisement, consistant à poursuivre des troupeaux sur des centaines de kilomètres afin d’épuiser les bêtes, qui n’arrivent pas à haleter pour se refroidir lorsqu’elles courent, tandis que les hommes transpirent pour réguler leur température. Malheureusement, notre mode de vie sédentaire a en quelque sorte atrophié nos muscles, de même que le port de chaussures a déconditionné nos pieds, qui sont pourtant conçus pour la course à pieds nus et richement innervés. C’est justement ce que cherche à retrouver le minimalisme à travers des baskets aux semelles plates, fines et souples, offrant un contact très direct avec le sol. Plus qu’une mode, cette tendance n’est en réalité qu’un retour aux fondamentaux. Mais, attention, on ne peut pas du jour au lendemain passer d’une paire de chaussures lourdes et profilées à des modèles légers. Il faut un temps d’adaptation qui peut aller jusqu’à une année, et en recommençant de zéro, le temps que les pieds retrouvent une vraie musculature leur permettant d’assurer leur rôle de ressort naturel. Différentes études, relayées notamment par le Québécois Blaise Dubois, animateur du site lacliniqueducoureur.com, ont d’ailleurs prouvé que depuis l’avènement des chaussures dites techniques dans les années 1980, les blessures n’ont pas diminué, bien au contraire. Médecin du sport spécialisé dans la course à pied au centre Vidy-Med à Lausanne, Marcos Del Cuadro insiste: «La pratique de la course à pied réduit les risques d’arthrose. Une activité régulière a un effet protecteur, elle renforce les articulations. Cependant, tout est question de quantité, il ne faut pas tomber dans l’excès. Les courses de type ultra-trails peuvent par exemple être très traumatisantes du fait des nombreux micro-traumatismes répétés. De plus, les personnes qui ont un passé sportif profitent d’un avantage par rapport aux débutants.» Et d’expliquer qu’il est avant tout important de courir sur l’avant du pied, et non sur le talon – ce qui est d’ailleurs impossible avec des chaussures minimalistes –, comme lorsqu’on court naturellement, soit à pieds nus. En cas d’attaque sur le talon, avec une pose du pied beaucoup plus en avant que le buste, l’onde de choc qui s’ensuit se répercute jusque dans la nuque. Alors qu’avec une attaque sur le milieu et l’avant du pied, la jambe est naturellement dans l’axe du corps, le genou légèrement fléchi, ce qui diminue l’impact et fluidifie le mouvement. Faites le test: courir de cette manière aboutit à une cadence plus agréable, et également moins bruyante. Observez également les pelotons lors des compétitions: les coureurs qui en constituent le premier tiers courent tous ou presque de cette façon. Et beaucoup de populaires le disent: en changeant leur manière de courir, ils ont vu des douleurs chroniques disparaître, pour autant que l’adaptation se soit faite très progressivement. Patrimoine génétique «Nos muscles ont aussi un rôle amortissant lors de l’attaque sur l’avant-pied, pourquoi nous en priver?», questionne Marcos Del Cuadro. Le médecin conseille ainsi à tous ceux qui se mettent au running de démarrer directement avec des chaussures de type minimaliste, puisqu’un débutant devra de toute manière commencer de manière progressive. De même, il incite les parents à laisser leurs enfants évoluer au maximum pieds nus, et à leur acheter des chaussures avec des semelles fines, afin qu’ils se musclent dès leur plus jeune âge. C’est d’ailleurs pour cela, analyse un anthropologue comme Daniel Lieberman, que les meilleurs coureurs sont Africains, à l’image d’Abebe Bikila, qui a remporté en 1960 le marathon olympique de Rome à pieds nus. Dès l’enfance, ils évoluent la plupart du temps sans chaussures et courent parfois tous les jours des dizaines de kilomètres pour se déplacer. Ils ne sont pas génétiquement différents, mais possèdent simplement des pieds plus musclés et toniques. «Nous avons oublié notre héritage et notre patrimoine génétique, résume Niobe Thompson dans son documentaire. Si nous ne comprenons pas que nous sommes des chasseurs-cueilleurs faits pour bouger toute la journée, nous aurons des problèmes.»

1 222 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page